Le vendredi 21 octobre, le syndicat socialiste des transports UBT a conclu un «accord » avec Uber, la société de plateforme qui propose des courses en taxi et des livraisons de repas sur la base d'un pseudo-travail indépendant. La nouvelle a fait l'effet d'une bombe. Avec cet accord, le syndicat rompt avec la lutte menée par le Collectif des Coursiers, l'organisation des chauffeurs de taxi Uber (USCP) et ACV United Freelancers. L’UBT prétend triomphalement que l'accord est un premier pas vers la « concertation sociale » dans le secteur, mais rien n'est moins vrai.

Depuis deux ans, les capitalistes de plateforme s'efforcent de légaliser leur mode opératoire. Après avoir bâti leurs opérations et leurs profits en violant les droits sociaux les plus essentiels des travailleurs des plateformes grâce à l'approbation passive des gouvernements, ils veulent maintenant se débarrasser de la menace constante de poursuites judiciaires et de mauvaise presse. Comme le montrent les Uber Files, ils ont fait appel à des politiciens dans plusieurs pays pour ce faire. Depuis un an, ils tentent également de rallier les appareils syndicaux à leur cause en proposant un «dialogue social » bidon. Et l’UBT dit qu'elle s'engage avec enthousiasme dans cette voie.

« Plier le genou » 

Avec cet « accord de désaccord », ils seront « consultés » quatre fois par an, et le syndicat se verraiattribuer un espace de travail dans les locaux d'Uber pour jouer le rôle de service social de l'entreprise.

Ce qui est encore plus scandaleux, c'est ce sur quoi il n'y aura pas de « consultation » : rien ne sera discuté sur le statut ni sur les rémunérations des travailleurs des plateformes. Ne s'agit-il pourtant pas d'éléments essentiels à discuter entre travailleurs et patrons ? Autrement dit, l’UBT a fait une trêve sur ces sujet avec Uber. Avec cet « accord », ils ont exprimé une allégeance tacite à la plateforme Uber et ne disent jamais rien dans les médias à propos du scandale des Uber Files.

La semaine dernière également, l’UBT a retiré son logo du tract commun pour la manifestation de mardi prochain contre la proposition d'établir un soi-disant « troisième statut » par le biais de la Commission européenne. Ce troisième statut permettrait aux capitalistes de plateforme de légaliser pleinement leur modus operandi (employer des travailleurs en tant que travailleurs indépendants). Un tel statut s'étendrait à différents secteurs en l'espace de quelques années. Il s'agit d'une attaque contre les droits du travail similaire à l'instauration du travail intérimaire dans les années 1990, dont des centaines de milliers de travailleurs intérimaires supportent les conséquences aujourd’hui et sont pris dans une toile sans fin de contrats journaliers précaires.

Ces premiers exemples montrent immédiatement la véritable dynamique de « l'accord sur le désaccord ». Cet accord place l’UBT dans la position de partenaire social d’Uber dans un dialogue sur quelques miettes et non d’interlocuteur dans une négociation sur les éléments qui fondent l’identitité du syndicat : le statut et le salaire, en particulier. L'accord n'a pas été conclu sur la base de la lutte et de l'établissement de rapports de force sur le terrain, mais par le biais de la politique de l'arrière-boutique la plus mafieuse. Personne sur le terrain n'était au courant. Comme l’UBT n’est pas sur le terrain et n’a ni le soutien des coursiers ni celui des chauffeurs, il n'existe que par la grâce d'Uber. Peut-on encore parler de défenses des travailleurs et donc de syndicalisme ?

Un syndicalisme d’accompagnement

Comment expliquer la stratégie pernicieuse de l’UBT ? L’UBT veut « rattraper » de manière bureaucratique la CSC United Freelancers dans le secteur. C'est bien l'envie « d'exister » et de « s'asseoir à la table » à tout prix, au besoin avec la seule et unique grâce du patron et sans le soutien d'une base réelle, qui explique cet accord. S’exprime ici à l’extrême une tendance plus largement présente au sein du mouvement syndical.

Un autre facteur, peut-être essentiel, pourrait être que le président de l’UBT, Frank Moreels, souhaite se présenter à la présidence de la Fédération internationale des transports (ITF). Ce dialogue social au niveau belge avec l'une des plus grandes entreprises du monde est ainsi un bon moyen de réhausser son prestige international. L'accord belge suit ainsi l'application pratique d'un protocole d'accord entre l'ITF et Uber, conclu en février de cette année.

Il faut savoir que bien avant ce protocole de l’ITF, et dès l'automne 2019, la direction de Deliveroo a cherché à calmer l’ardeur des représentants du Collectif des Coursiers, dont je fais partie. Nous avons été contactés de manière très respectueuse et invités à un entretien à condition de ne pas discuter sur le statut ou les rémunérations. À l'époque, nous avons pensé pouvoir agir stratégiquement : après nos actions et nos grèves, nous pouvons arriver au rendez-vous avec nos revendications : augmenter les rémunérations et pouvoir choisir un statut de salarié (en plus de celui d'indépendant ou de P2P). Finalement, rien n'a abouti car Deliveroo a soudainement formulé une troisième exigence : les syndicats n’étaient pas invité au rendez-vous. Le responsable de Deliveroo conseillait en effet au Collectif des Coursiers de se séparer des syndicats. Le collectif a trouvé cela inacceptable car, dans la pratique, les syndicats tels que United Freelancers ou Transcom étaient tout à fait solidaires du Collectif des Coursiers.

Mais aujourd’hui, la direction du syndicat UBT en « s'asseyant à la table » avec Uber, pense acquérir une existence déconnectée de celle des collectifs. Ce qui risque de pousser à un lantisyndicalisme extrême de la part des travailleurs qui ne se sentent pas représenter.

L’organisation et la lutte contre les plateformes

En effet, personne n'était au courant de ces négociations secrètes. Tous ceux qui se battent pour les droits des coursiers sont scandalisés. Si l'on ne bloque pas la stratégie de l’UBT, il faut s'attendre à la montée de tendances antisyndicales encore plus marquée qu’aujourd’hui parmi les coursiers et leur organisation. Ceci pourrait alors favoriser les plaintes des certains responsables syndicaux qui répètent à qui veut l’entendre : « Vous voyez comme il n’est pas possible d’organiser syndicalement les coursiers ».

Pourtant, depuis 2017, les coursiers s’organisent et sont parvenus à des revendications claires : pour un salaire minimum, un statut de travailleur régulier, le droit de s'organiser et la sécurité des travailleurs des plateformes. des grèves ont déjà eu lieu dans toutes les régions du pays, en Flandre, à Bruxelles avec manifestations et occupation du siège de Deliveroo et à Liège.. L’UBT, elle-même a soutenu de manière convaincante une grève réussie des coursiers à Gand en juin 2019. Après quoi, les syndicalistes qui l’avaient organisée ont été retiré de ce champ d'action et rien d'autre n'a été fait dans ce sens.

Tout récemment, les collectifs de travailleurs des plateformes et l'ACV United Freelancers mettent en place une Maison des Coursiers à Bruxelles. Son objectif est de mieux organiser les coursiers et en particulier les nombreux « sans-papiers » parmi eux. En obtenant un local au sein du Hub d’Uber, est-ce que l’UBT ne va pas à l’opposé de ce projet visant l’organisation d’un collectif de lutte et l’auto-organisation des travailleurs, soutenue par les syndicats.

Déchirez cet « accord » !

En tant que membre de la FGTB, ex-coursier de repas, ex-militant de l’UBT encore actif dans le Collectif des Coursiers, je pense qu’il faut déchirez cet « accord » !

Il existe déjà des exemples internationaux de ce type. En Italie, un « syndicat » lié à l'extrême droite l’UGT a conclu un accord social (officiel) avec les plateformes qui allait à l'encontre des revendications des coursiers. Cet accord a été rejeté grâce à des mobilisations unifiées des collectifs de coursiers et du plus grand syndicat italien, la CGIL.

La FGTB doit être solidaire de la lutte des travailleurs de plateforme. Le syndicat socialiste ne doit pas plier le genou devant les capitalistes de plateforme. Une véritable concertation sociale, qui peut forcer le changement, ne peut se faire que sur la base de la construction d'un rapport de force. Pour cela, il faut se concentrer sur l'organisation des coursiers. C'est le contraire du syndicalisme d’accompagnement pratiqué par l’UBT.

Discutez de cette question lors de la prochaine réunion syndicale et faites voter ou signer individuellement la motion ci-dessous. Elle peut être transmise à votre propre secrétaire et président ainsi qu'au Collectif des Coursiers: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. Et surtout à la direction de l’UBT: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ; Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Proposition de motion :

En tant que membres de la FGTB, nous demandons l'annulation de l’« accord de non-accord » entre la FGTB et Uber. L’accord représente une vision erronée de ce qu'est le syndicalisme. L’existence du syndicat ne dépend pas du fait de s’asseoir autour de la table pour discuter des miettes avec le patronat. Et encore moins avec les plateformes qui violent constamment les droits fondamentaux des travailleurs. Nous voulons que notre syndicat s'appuie sur l'organisation des travailleurs et qu'ils soutiennent les collectifs existants afin de construire le rapport de force nécessaire à l'amélioration des revenus et des statuts. Il convient d'y accorder l'attention et les ressources nécessaires.

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