Depuis mai 2001, Berlusconi mène une attaque frontale contre les travailleurs, la jeunesse et les retraités. Interview avec Claudio Bellotti, militant marxiste et membre de la direction du Parti de la Refondation Communiste.

Berlusconi est au pouvoir depuis plus de deux ans. Que dire de l’action de son gouvernement ?

C.B : Depuis mai 2001, Berlusconi mène une attaque frontale contre les travailleurs, la jeunesse et les retraités. Il a fait adopté des lois qui remettent gravement en cause le droit syndical et qui aggravent la précarité de l’emploi. Par exemple, un employeur peut désormais «louer» les salariés de son entreprise à un autre employeur, un peu comme on prêterait un esclave à un esclavagiste voisin. Berlusconi a aussi porté un coup dévastateur à l’éducation publique, et ce au profit de la hiérarchie de l’Eglise catholique. Il a également fait voter une loi très dure concernant les travailleurs immigrés. Désormais, le droit de séjour d’un travailleur immigré est étroitement lié à son contrat de travail. S’il perd son emploi, il peut être expulsé du territoire. Berlusconi a enfin soutenu la guerre contre l’Irak, et a mené d’autres guerres pour son intérêt personnel. Premièrement, pour empêcher les poursuites engagées contre lui par la Justice italienne, et deuxièmement, pour renforcer son emprise sur l’industrie audiovisuelle du pays. Dans l’ensemble, les membres de ce gouvernement se comportent comme une bande de casseurs au service du patronat.

Quelle a été la réaction de la direction du PRC à ces attaques, et avec quels résultats ?

C.B : Tout d’abord, il faut souligner que l’opposition de la jeunesse et des salariés à la politique du gouvernement, que ce soit sur la question de la guerre en Irak ou sur les questions de politique intérieure, a été massive et d’une puissance extraordinaire. On a assisté à toute une série de manifestations et de grèves énormes, impliquant des centaines de milliers, et parfois des millions de personnes. Mais le groupe majoritaire de la direction du PRC a tardé à comprendre l’ampleur et le potentiel de ce mouvement. Ce flottement s’est exprimé dans son refus du mot d’ordre — pourtant très largement repris sur les manifestations — pour la démission du gouvernement. Jusqu’à récemment encore, la direction du PRC trouvait cette revendication «excessive». Finalement, Fausto Bertinotti, le secrétaire général du PRC, a repris ce mot d’ordre, mais d’une manière insuffisante. Sa démarche consiste à plaider en faveur du remplacement de l’actuel gouvernement par une coalition «large», dans laquelle figurerait le PDS (le PS italien) ainsi que diverses petites formations de centre-droit, et dont le programme, comme celui du gouvernement de «centre-gauche» précédant, ne serait pas radicalement différent de celui de Berlusconi. Notre courant, Falce Martello, reproche à la direction actuelle du PRC son refus de présenter un programme communiste indépendant pour combattre la droite italienne et les capitalistes qu’elle représente — faute de quoi, malgré l’ampleur des mobilisations contre Berlusconi, le parti ne pourra pas renforcer sa position, ni électoralement, ni en termes d’adhérents. Car pourquoi se tourner vers un parti qui dit essentiellement la même chose que d’autres qui — comme les PDS — sont plus grands ?

En France, au dernier congrès du PCF, la direction rassemblée autour de Marie-Georges Buffet a avancé l’idée d’un «dépassement» graduel du capitalisme. Les dirigeants du PRC partagent-ils cette idée ? Et quel est ton point de vue sur cette question ?

C.B : C’est, en ce moment, une idée en vogue dans les PC européens et dans les mouvements soi-disant «alter-mondialistes». Cela signifie, selon eux, qu’il serait possible de mettre fin au capitalisme sans passer par une révolution. Au PRC, la direction est très explicite à ce sujet, et déclare que la conquête du pouvoir économique et politique par le salariat n’est ni nécessaire, ni souhaitable. Elle considère qu’une telle prise du pouvoir mènerait forcément à un régime totalitaire, et prétend qu’il est possible d’aboutir à une transformation radicale de la société au moyen d’une succession de réformes. On ne peut pas appeler cela une théorie. C’est plutôt une notion vaguement conçue. En tout cas, les dirigeants du PRC semblent croire que c’est simplement «au niveau des gens», «dans les quartiers», que se construira — on ne sait pas comment — la société nouvelle. Cette perspective est présentée comme «novatrice», mais, en fait, elle rappelle les idées naïves et utopistes qui avaient cours au début du XIXe siècle. Marx et Engels les rejetaient de la façon la plus catégorique. Chez les dirigeants actuels de notre parti, cette approche est mélangée avec toutes sortes d’idées farfelues, telles que le «commerce équitable», «l’économie solidaire», et des mesures de bricolage social de tendance plus ou moins keynésienne. Ils ont abandonné le programme, la théorie et les méthodes du socialisme scientifique au profit d’un véritable bric-à-brac idéologique.

Finalement, nous voudrions savoir quelle était l’attitude de la direction du PRC à l’égard du conflit entre Chirac et Bush ?

C.B : Elle voyait la prise de position de Chirac — qui ne cherchait qu’à défendre les intérêts particuliers du capitalisme français — comme un exemple à suivre. Les dirigeants partagent avec tous les courants réformistes italiens la conviction que l’Union Européenne pourrait et devrait constituer une opposition à l’impérialisme américain. Or, les capitalistes européens ne sont pas moins réactionnaires que leurs homologues américains. Au lieu de s’opposer à tous les impérialismes, ces réformistes attribuent des vertus «anti-impérialistes» à n’importe quel gouvernement qui, sur une question donnée et à un moment donné, s’opposent à la politique américaine, que ce soit la Russie, l’Inde, la Chine, ou, en l’occurrence, le gouvernement de droite en France. Je me souviens d’une lettre de quelqu’un qui demandait à Bertinotti ce qu’il pensait de toutes les guerres, en Afrique, où la France est impliquée. Bertinotti a répondu en cherchant à minimiser les agissements impérialistes de la France. Ces guerres-là étaient, d’après lui, «moins graves» que la guerre en Irak! Notre point de vue est qu’il fallait, non pas se mettre à la remorque de la diplomatie chiraquienne, mais expliquer clairement les véritables raisons de son «opposition».