Les  candidats américains sont faits et défaits en fonction des dons de gros donateurs privés : c’est un secret de polichinelle. Ce qui est moins souvent analysé, en revanche, ce sont les différences entre les donateurs du parti Républicain et ceux du parti Démocrate, et leurs intérêts divergents. Si les deux partis sont reliés dans nos imaginaires à une frange de la population américaine, il serait illusoire de penser qu’ils défendent réellement les intérêts de cette population.

Il serait plus juste de considérer les élections américaines comme un moment d’affrontement entre deux fractions de la bourgeoisie aux intérêts divergents.

La classe capitaliste, l’entente dans la division

S’il est tentant de se représenter la classe capitaliste comme un groupe d’initiés complotant d’une seule voix pour gouverner le monde, la réalité est évidemment plus complexe. Le monde du capital recouvre de nombreux intérêts divergents, entre les fonds d’investissements, les grands trusts immobiliers et les groupes industriels.

Malgré ces clivages, ceux-ci s’entendent sur les règles du jeu, les élections, qui permettent à une fraction de l’économie capitaliste de définir la stratégie pour les quatre prochaines années. Cette entente montre bien le rôle que joue l’État dans une économie capitaliste : il est un instrument au service de la classe possédante pour assurer son hégémonie.

Ainsi, sous le couvert des partis Démocrates et Républicains, dans le mépris de leur électorat, ce sont en réalité les enjeux du capitalisme qui se jouent.

Finance contre économie réelle ?

Un examen attentif des 20 plus grands donateurs politiques permet de discerner une tendance. Tous ces gens sont milliardaires et sont évidemment des représentants éminents de la classe capitaliste. Cependant, leurs activités diffèrent. Prenons deux exemples.

Sur ces 20 donateurs, 10 sont issus du monde de la finance ; sept ont donné au parti démocrate et seulement trois au parti républicain. Inversement, les quatre donateurs issus du monde industriel ont exclusivement donné au parti républicain.

Il serait donc tentant de conclure que le parti républicain représente la dite « économie réelle » alors que le parti démocrate représente l’économie « fictive », mais ces catégories ne sont en fait pas suffisamment pertinentes pour décrire le capitalisme.

Une analyse marxiste de la finance

Considérer qu’il existerait une économie réelle qui créerait de la valeur, et une économie fictive qui serait parasitaire, reviendrait à être dans l’illusion fétichiste que le capitalisme est créateur de valeur. Marx nous a bien montré que seul le travail crée de la valeur, et que le capital, qu’il soit financier ou industriel, exploite les travailleurs.

Ainsi la finance n’est pas un secteur séparé de l’économie réelle, mais on peut la considérer comme la fraction supérieure du capital, qui, en tant qu’actionnaire, possède et contrôle la majorité des industries. Cette couche se caractérise par un détachement relatif à l’égard d’une branche particulière du capital puisque ses investissement peuvent facilement se déplacer d’un secteur à un autre.

Protectionnisme contre libre-échange

À cette fraction supérieure s’oppose une couche de capitalistes « entrepreneurs », qui sont impliqués dans la gestion de l’entreprise qu’ils ont souvent fondée ou qui leur a été transmise par leurs parents. Cette fraction est donc plus directement reliée aux intérêts du secteur dans lequel ils évoluent.

Ainsi, nos donateurs républicains industriels sont plus intéressés par le protectionnisme que propose Trump, afin de diminuer la concurrence étrangère et de pouvoir augmenter leurs prix. Au contraire, les acteurs de la finance vont préférer le libre-échange de Biden, qui va leur ouvrir plus de possibilités d’investissement et de valorisation du capital.

Ne soyons pas dupes pour autant : si le protectionnisme peut attirer quelques sympathies en étant associé à la période fordiste, celui-ci s’accompagne nécessairement de politiques impérialistes, qui lui permettent de s’accaparer les ressources nécessaires à une production « autarcique ».