Françoise est animatrice EVRAS dans les écoles de l’enseignement francophone. Forte de ses 15 ans d’expérience, elle nous donne son avis sur la polémique qui secoue les écoles en ce moment.

Qu’est-ce que l’EVRAS ? dites-nous en un peu plus…

 

EVRAS est l’acronyme pour Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle. Si elle fait couler beaucoup d’encre dans les médias en cette rentrée, c’est qu’un nouveau décret a été adopté le 7 septembre 2023 au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles : dès cette année scolaire, tous les élèves de 6e primaire et de 4e secondaire doivent suivre un programme d’EVRAS de 2 heures. Car jusqu’ici ces formations n’étaient pas obligatoires et seulement 20 % des écoles les organisaient.

Ces heures seront dispensées par des intervenants des plannings familiaux, CPMS (Centre Psycho Médico- Sociaux) ou SPSE (Service Promotion de la Santé à l’Ecole). Cela concerne 85 000 élèves en Wallonie et 25 000 à Bruxelles. Le programme bénéficiera d’un budget annuel de 5,8 millions d’euros annuels.

En réalité cela fait 50 ans que cela existe dans les écoles, à l’époque on parlait d’éducation sexuelle et affective. En 1973 la télévision scolaire belge diffusait pour la 1ère fois une émission sur ce thème « Je grandis, je change » à l’attention des élèves de l’école primaire. L’émission montrait les corps qui changent. Elle expliquait longuement la puberté. L’appareil reproductif était expliqué et montré en détail. Elle expliquait aussi les émotions, la manière dont la vie évoluait. En 1974, un autre documentaire de la télévision scolaire abordait la question des règles sans tabou. Grand absent de ces émissions : le plaisir. À l’époque, le clitoris n’existait pas !

Arrivent les années 80 et le SIDA. La priorité de l’éducation sexuelle devient la protection. Désormais on parle de risque, de maladie et de préservatif. Début des années 90, la peur du SIDA n’empêche pas le retour d’une éducation sexuelle axée sur les émotions, l’amour et l’autonomie.

1996 : les années Dutroux. La sexualité est dominée par le risque de la pédophilie. L’éducation sexuelle est axée sur la prévention de la maltraitance. L’accent est mis sur la notion de consentement et le respect du corps dès le plus jeune âge. Le concept de bientraitance apparaît.

En 2012, un décret fait de l’EVRAS (on ne parlait pas encore d’EVRAS le R de relationnelle viendra plus tard) devient une mission obligatoire de l’enseignement. L’objectif visé est d’atteindre une généralisation de ces formations dans les écoles et une labellisation pour les acteurs donnant ces formations. Il faudra encore attendre 10 ans pour qu’un guide rassemble tous les acteurs concernés et que l’obligation entre réellement en vigueur.

En quoi consiste le guide ?

Ah le fameux guide ! Il me semble très important ici de faire une mise au point. Il est uniquement destiné aux professionnels de l’EVRAS.  C’est un guide, un outil précieux de 300 pages rédigé par plus de 150 professionnels qui sont des représentants des écoles de tous les réseaux, des représentants des parents, des travailleurs de planning familial, des scientifiques … il aborde les apprentissages et thématiques adaptés au stade de développement psycho-affectif et sexuel des enfants et adolescents. Mais, rappelons-le, ce n’est qu’un outil parmi d’autres qui donne des clés, des pistes, des repères pour les animations. Libre aux animateurs de le suivre ou pas. Et surtout n’oublions pas que le contenu des animations se construit à partir des questions des élèves.

Alors pourquoi cette opposition ?

 

Je m’attendais certes à des levées de bouclier mais pas à un tel déferlement de protestations. Des manifestations ont été organisées, des tracts anti EVRAS distribués devant les écoles. Et fait plus grave encore, des écoles ont été la cible d’incendies criminels et de vandalisme dans la région de Charleroi et à Liège. Des campagnes de désinformation massive ont été orchestrées par des groupuscules d’extrême-droite, des ultra-religieux, des complotistes …  Par exemple Bon sens Belgique milite contre la vaccination contre la Covid entre autre.  Sur leur page Facebook, ils accusent la politique en matière d’EVRAS de le faire pour des questions d’argent, voire, de servir des intérêts pédophiles.

Les rumeurs les plus folles ont circulé auprès des parents comme quoi les enfants de 5 ans vont apprendre à se masturber, les enfants de 8 ans devront regarder de la pornographie, qu’on va inciter les enfants à changer de sexe, que l’on va introduire de la pédophilie dans les écoles et enfin que les enfants vont devoir de déshabiller. Soyons sérieux !  Pouvons-nous penser ne serait-ce qu’un instant que l’école va réellement promouvoir ces conduites ? Et tout ça en 4 heures d’animations sur 12 ans ? Quelle performance ! 

Qu’est-ce qui pose un problème dans l’EVRAS ?

C’est surtout le S de sexualité. On oublie qu’il y a le A de affectif et le R de relationnelle où on peut parler des relations familiales, de l’amitié, des relations amoureuses, la gestion des émotions, l’estime de soi…  Pas étonnant que certains parents se soient trouvés totalement démunis face à ce flux d’informations anti-EVRAS et se soient laissés influencer.

Quel est selon toi le rôle du mouvement ouvrier face à l’offensive de la droite réactionnaire

Parler de sexualité est un enjeu politique. Je perçois une régression depuis une vingtaine d’années. Il était beaucoup plus facile d’aborder le thème de la sexualité dans les années 80 jusqu’au début des années 2000. Après ça devient une autre histoire ! Pour certaines sociétés, cultures parler de sexualité c’est ouvrir la boîte de Pandore. Je pense, entre autre, à l’émancipation des femmes (meilleur connaissance de leur corps, du contrôle des naissances, de leurs droits …) avec comme corollaire moins de pouvoir patriarcal. N’oublions pas que de nombreux pays pratiquent encore le mariage forcé de jeunes filles, la lapidation en cas d’adultère, l’excision … Ce décret EVRAS en Belgique francophone est une très belle avancée, mais doit continuer sur sa lancée en l’étendant à tout l’enseignement obligatoire (de 5 à 18 ans) et en augmentant les heures pour chaque année d’enseignement. Ça doit devenir une priorité dans l’éducation et pas une option ! Augmentation des budgets alloués !

Le politique a complètement sous-estimé la communication auprès des parents. Ça faisait des années que l’on pratiquait l’EVRAS dans les écoles sans trop de problème. Il a fallu ce nouveau décret pour que tout s’enflamme. Je pense qu’une bonne communication aux parents, l’année scolaire précédente, sur le futur décret en expliquant le contenu et tous les enjeux pour la santé de leurs enfants, en répondant à leurs questions et à leurs inquiétudes aurait été bénéfique et évité bien des tensions.

En tant que mouvement ouvrier nous devons lutter pour exiger de nos politiques une éducation à l’EVRAS continuée. Nous devons aussi former nos militants à cette thématique pour qu’ils puissent en discuter avec les travailleurs. Lutter pour augmenter le nombre de plannings familiaux avec accès gratuit pour tous, la contraception gratuite, les moyens de protection périodiques gratuits. Que l’éducation à l’EVRAS devienne un sujet de discussion dans tous les foyers. C’est l’un des enjeux majeurs de notre temps.

En tant que marxiste, comment vois-tu la question de l’EVRAS ? Des pistes pour l’approche des marxistes par rapport à ce sujet en Belgique ?

 

L’EVRAS c’est avant tout apprendre à se respecter et respecter les autres, à déconstruire les stéréotypes et favoriser le dialogue dans un objectif d’inclusivité. C’est un enjeu sociétal (survie de notre espèce, abolition de la société patriarcale, équité entre les genres …), politique (législation de l’avortement, mariage pour tous, exploitation sexuelle …) et économique (répartition du temps de travail, congé de parentalité, crèches en suffisance …). C’est l’histoire de toute une vie. Elle doit être abordée à chaque étape de notre vie. C’est dans le milieu familial, la crèche, l’école dès le plus jeune âge pour que ce ne soit plus un tabou : on parle bien de notre estomac sans aucun problème mais dès qu’il s’agit de parler de vulve ou de pénis alors là c’est une toute autre une histoire ! Et puis c’est aussi parler de relation, de domination, de consentement, de sentiments, de pulsions … Plus tard viennent les thématiques de la rencontre amoureuse, de l’homosexualité, du consentement, des relations sexuelles, de la gestion des naissances, des IST, du divorce … Autre grand tabou de notre époque à briser : la sexualité des personnes âgées. Bref pour être bien dans son corps et dans sa tête afin de vivre en harmonie avec soi-même et les autres il est indispensable de recevoir une éducation continue à la vie affective, relationnelle et sexuelle.

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 Révolution 50 1 page 001

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