Le salaire direct et indirect est au cœur du conflit entre patrons et travailleurs. La théorie économique de Marx explique que le profit des patrons n’est autre que le travail impayé du salariat. C’est la partie des richesses créées par le travail du salarié, qui ne lui est pas restituée sous forme de salaire.

Et ce qui vaut à l’échelle d’une entreprise capitaliste donnée vaut aussi à l’échelle de l’ensemble de la société, quoique sous des formes plus élaborées : les allocations familiales, l’indemnisation des chômeurs, les services publics, etc., sont autant de canaux par lesquels le salariat se voit restituer une partie de la valeur créée par son travail - et qui échappe à la classe capitaliste. En dernière analyse, la lutte des classes n’est autre que la lutte entre les capitalistes et les salariés pour le partage des richesses créées par ces derniers.

Paix sociale et collaboration de classe

En Belgique, les salaires se négocient au niveau interprofessionnel, sectoriel et dans les entreprises. Cette négociation se fait d’abord entre patrons et syndicats, mais le gouvernement veille au grain. Ce dernier est supposé représenter ‘l’intérêt général’ mais, en réalité, il défend les intérêts des patrons. Dans une société divisée en classes sociales antagonistes, il ne peut exister d’intérêt général. Avec l’intervention du gouvernement, le salaire devient un enjeu politique de premier ordre. Un cadre national pour les négociations salariales  est indubitablement un acquis du mouvement ouvrier. Il permet d’utiliser l’ensemble du poids syndical national et interprofessionnel pour aider les travailleurs des secteurs ou des entreprises avec un rapport de force plus faible, à condition, naturellement, de ne pas hésiter à s’engager dans la mobilisation des travailleurs et dans la voie de la grève. Ce rapport de force est également mis au service des travailleurs sans emploi et des allocataires sociaux. A l’origine de ce modèle, il y a le ‘Pacte Social’ de 1944 ; en échange d’une nouvelle sécurité sociale, d’augmentations salariales, de conventions collectives et d’autres avantages, les syndicats ont reconnu l’autorité patronale, la propriété privée des moyens de production et ont rejoint la bataille pour augmenter la productivité. C’est ainsi que la patronat a réussi à sauver le capitalisme après la guerre avec l’aide des dirigeants socialistes et syndicaux.

Les salaires dans une camisole de force

Les syndicats s’engageaient alors aussi à garantir la paix sociale. « C’est en mai 1960 que l’« esprit de concertation  » se concrétise par la conclusion du premier accord de programmation sociale (futur accord interprofessionnel, AIP), joyau belge en matière de dispositif de formation des salaires, tout comme l’indexation automatique, développée à l’entre-deux-guerres, qui est un mécanisme rare en Europe. »[i] En contrepartie de divers avantages sociaux pour les travailleurs, ce pacte social garantissait au patronat l’absence de « toute autre revendication de nature sociale au niveau national et interprofessionnel jusqu’en 1962 » [ii].  A l’époque, une bonne partie de la FGTB s’opposait à juste titre à cet accord et au principe même de paix sociale. A vrai dire, cet accord n’a pas empêché la grève générale de 60-61 qui allait éclater quelques mois plus tard. La stratégie dominante de collaboration de classe et l’abandon de la perspective de rupture avec le capitalisme n’a pas empêché des moments d’affrontements sociaux parfois très virulents. Mais cette conflictualité sociale est perçue par les directions du mouvement ouvrier comme ‘une crise passagère dans un ménage’.

Depuis, de nombreux accords salariaux ont été conclus. Mais quand la crise économique des années 70 a commencé à se faire sentir, il est devenu plus difficile de conclure de tels accords. C’est ainsi que de 1976 à 1986, le gouvernement a décrété un blocage des salaires. Sous les gouvernements de droite de Martens-Gol des années 80, un seul Accord Interprofessionnel a été signé. C’est aussi dans cette période que l’indexation automatique des salaires a été attaquée. On a assisté à des sauts d’index, des index lissés, des index santé… [iii]. Tout - ou presque tout - sera mis en œuvre pour que le salaire ne suive plus l’augmentation du coût de la vie.

La bataille des salaires se gagnera par la lutte

Depuis 25 ans, les salaires sont cadenassés par la fameuse loi sur la compétitivité. Cette loi de 1996, votée par un gouvernement à participation socialiste, impose une norme salariale au-delà de laquelle les salaires ne peuvent augmenter. Cette norme est calculée sur base des augmentations salariales des principaux partenaires commerciaux, la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Grâce à cette norme, les salaires sont strictement tenus en laisse. Là, où par le passé les négociations salariales étaient liées à la productivité, elles sont aujourd’hui soumises aux impératifs de compétitivité. Il en résulte une baisse réelle des salaires, étalée sur de nombreuses années. L’écart salarial par rapport à l’augmentation de la productivité est de 12% [iv].

Il y a deux ans, en 2019, lors de la dernière négociation interprofessionnelle, la norme salariale était au centre d’un nouveau bras de fer social et politique En 2017, le gouvernement Michel 1 avait encore réduit de facto la marge de progression des salaires. Une grève générale de 24h en front commun en janvier a souligné la détermination des travailleurs à ne pas se laisser faire. Insatisfaite du résultat de la négociation, la FGTB refuse de signer l’accord. En revanche, la CSC  y pose sa signature, malgré des réticences internes.

Le patronat veut maintenant nous jeter quelques miettes de son gâteau bien garni. Pour la FEB, une marge salariale de 0,4% est largement suffisante : c’est à peine le prix de 20 rouleaux de papier toilette. Pour un salaire médian, l’augmentation ne sera alors que de €13 brut par mois,  €6 brut par mois pour un salaire minimum et €9 brut par mois pour les fonctions essentielles.

 Les syndicats demandent des négociations libres, donc sans que soit imposée une norme salariale maximale et contraignante. Comment y arriver ? Les tracts syndicaux répondent : ‘par la négociation’. Des arguments tels que ‘les salaires belges sont compétitifs’ [v]ou encore une ‘économie forte a besoin de bons salaires’[vi], ou bien des appels à la ‘responsabilité’ n’impressionneront jamais les chefs d’entreprise. Ce genre de raisonnements trahit une incompréhension du fonctionnement de l’économie capitaliste basée sur les profits. Les CEO ne sont responsables ni devant les travailleurs ni devant la société, mais devant leurs actionnaires.

En coulisses, les syndicats, surtout la FGTB, espèrent aussi que les ministres socialistes vont pouvoir les aider. Cette voie n’est pas la bonne. Le patronat ne plie que sous la pression de l’action collective de masse au niveau de la production, c'est-à-dire par la grève dans les entreprises. Pour commencer, c’est une grève de 24h qu’il faut préparer. Cela doit être l’horizon de toutes les actions de sensibilisation qui ont lieu dans les entreprises.

On ne pourra faire sauter le verrou de la norme salariale que par la lutte nationale et interprofessionnelle.


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[i] gresea.be/L-Etat-contre-le-salaire

[ii] alphas.be/greves-de-60/

[iii] www.econospheres.be/Un-index-dans-les-rouages-du

[iv] www.fgtb.be/documents/20702/400959/Barom%C3%A8tre+2020/8b7efb96-e63c-4d22-bdf1-c6da0f729107

[v] www.fgtb.be/documents/20702/400959/Barom%C3%A8tre+2020/8b7efb96-e63c-4d22-bdf1-c6da0f729107

[vi] www.bbtk.org/nl/fed/news/I8TY1DT2AG?fbclid=IwAR3tYKBH-Tn4rPhfpwPw8luUUfTWuRYXV2P5hzQKG1XVCWVMvmZgxAFOlq0

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