Nous avons rencontré un jeune responsable syndical de l’Union Locale de la CGT du plus grand aéroport de France. L’Union Locale coordonne le travail de 200 ‘bases’ syndicales à l’aéroport. Au total plus de 700 entreprises sont actives sur le site regroupant 90.000 travailleurs.  

Peux-tu nous expliquer la situation dans l’aéroport ? 

La situation évolue à deux vitesses, d'un côté on a les travailleurs de la compagnie Air France et du gestionnaire ADP, ces deux catégories de salariées constituent l’aristocratie ouvrière c.-à-d. des salariés appartenant à une compagnie qui a de telles capacités financières que les capitalistes de ces sociétés ont pu tolérer l'élévation du niveau de vie de ses salariés à un point tel que les travailleurs ont plusieurs avantages économiques : quatorzième mois, intervention dans les moyens de transport, conditions de travail  plus confortables,...

À côté de ça, on a les travailleurs de la sous-traitance qui s’élèvent 40 000  salariés pour 50 000 salariés d'Air France ADP . Cette sous-traitance permet à l'entreprise de tirer un maximum de profit.  La situation des salariés de la sous-traitance se dégrade dramatiquement. D'une part, nous avons les plannings de travail qui sont cassés, les conditions de travail sont plus dures, la suppression des acquis sociaux. D'autre part, les grands donneurs d’ordre comme Air France émiettent le marché en de micromarchés. Par exemple, on a une compagnie de nettoyage qui s'occupe des toilettes des femmes et une autre qui s'occupe de celle des hommes, et ce, dans le même terminal.  Aujourd'hui, on a 740 entreprises différentes qui travaillent sur un même lieu. Le donneur d’ordre va se débarrasser du marché en le passant à un sous-traitant pour pouvoir licencier du personnel alors que l'emploi continue à exister et que les besoins augmentent, car le nombre de passagers est en croissance. Ainsi, Air France ADP a supprimé 5122 emplois et a dénoncé toutes les conventions d'entreprises qui ont été négociées depuis 60 ans afin de les renégocier à la baisse. On s’attend que le travail des bagagistes sera être sous-traité. Si cela se fait, ce sera la bagarre assurée. 

Quel est le modèle d'organisation des travailleurs qui est mis en place ?

Voilà la question centrale de notre travail syndical. Si je comprends bien les structures syndicales belges, il n’existe pas chez vous quelque chose comme une seule section locale pour toutes les entreprises de l’aéroport. C’est bien le cas chez nous. Dans ce sens-là, nous partons d’une situation plus favorable que chez vous. Mais nous nous rendons compte que les syndicats et le personnel a tendance à se replier sur leur seule entreprise. C’est le résultat d’une série de défaites vécue ici en France depuis plusieurs années. 

Le lien avec les bases locales (groupe syndical d’entreprise) s'est distendu à un point tel que tout est à reconstruire. Aujourd'hui, l'Union Locale essaye de reconstruire ce lien en allant dans les sections d'entreprises pour expliquer l'utilité de l'unité des travailleurs. On a mis en place des référents par secteur : bagagistes, le nettoyage, la zone cargo, l’entretien des avions, les locations de voitures... 

Par exemple, nous allons rationaliser le travail syndical chez les entreprises de location de voitures.

L'objectif est de créer un syndicat unique pour toutes ces entreprises. On essaye d'unifier la structure syndicale qui permet aux salariés de passer à l'action. Que l’on travaille pour Hertz, Europcar, Avis ou une autre société, tous feront partie de la même section syndicale.

Cette unification présente plusieurs avantages :

Premièrement, uniformiser les plateformes revendicatives sur le niveau le plus supérieur pour limiter l'utilité qu'a le patronat (ADP en Air France) de changer de prestataire, car si l'on arrive à uniformiser le statut social des salariés, on stabilise l'emploi et l'employeur tire moins de profit du changement de prestataire.

Deuxièmement, cela présente un intérêt tactique, car ainsi on a un plan de bataille cohérent. Par exemple si les bagagistes font grève en ordre dispersé, les compagnies vont faire remplacer les grévistes par d'autres travailleurs. Mais en ayant une stratégie commune, on arrivera à contrer cela et diminuer la concurrence entre le personnel. Ce n’est pas encore le cas. La brutalité des attaques patronales dans l’aéroport joue en notre faveur d’une certaine façon.  Les travailleurs expérimentent et comprennent eux-mêmes les limites de l'organisation ouvrière au niveau de la seule l'entreprise et cherchent à s’organiser à un niveau supérieur. L’unité des toutes les entreprises de sous-traitance est ainsi perçu comme un besoin pratique. 

Quelles modalités de participation ouvrière avez-vous ?

Cela repose sur une plateforme revendicative qui va coller à un état d'esprit concret à un endroit. C’est très important. Une revendication importante est par exemple la réintégration des sous-traitants chez les donneurs d'ordre. Ensemble avec les camarades d’Air France et ADP nous demandent la renationalisation des entreprises aériennes sous le contrôle des salariés pour briser le contrôle des capitalistes sur le secteur aérien, car tant qu'ils ont le contrôle les travailleurs seront attaqués.

Cependant, ces objectifs généraux ne sont pas ceux qui mobilisent actuellement les travailleurs. Une grève peut partir de revendications très précises.  Par exemple en mai dernier on a établi un programme revendicatif d'urgence sociale parmi les objectifs arrêtes il y avait l'obligation pour les entreprises qui reprennent un  marché de prestation de reprendre les salariés. On part de revendications immédiates qui permettent de mobiliser les salariés. On explique, on écrit des tracts, on fait un travail préparatoire. Il y a rarement des grèves spontanées toutes les actions sont préparées à l'avance. En effet, il faut convaincre les salariés de la justesse de la revendication et leur expliquer notre plan de bataille. Les travailleurs ressentent l'impasse du capitalisme et la nécessité d'agir. Par exemple lors de la dernière grève, on a fait plusieurs assemblées générales, en tenant compte des horaires des salariés, pour expliquer aux salariés qu'à la fin de la première journée de grève il n'y aura pas d'avancée et qu'il faut une stratégie pour monter en puissance. Cette lutte engagée au mois de mai continue et les salariés continuent à être mobilisés, car ils sentent que notre stratégie est cohérente et que ce n'est pas en une journée de grève que l'on va réussir à changer les choses. La perspective la plus crédible c'est que sous les coups du capitalisme les salariés d'Air France finiront par entrer dans une grande bataille et si notre union locale arrive à tisser des liens avec la sous-traitance, on aura une généralisation de la grève.

Il y a un an et demi, une grève éclata parmi les agents de sécurité de l’aéroport. La grève s'est rapidement étendue vers les autres aéroports à Nice, Toulouse, Lille, etc. L’action était portée essentiellement par des jeunes agents sans expérience syndicale. A la fin ils ont obtenu partiellement gain de cause avec une augmentation salariale. C’est donc possible. Mais suite à l’énorme division organisée par le patronat parmi le personnel nous devons redoubler nos efforts. Vingt ans de division et de sous-traitance ont marqué le personnel. Le personnel des ‘donneurs d’ordre’ a ainsi tendance à mépriser le reste du personnel. 

Mais la régression sociale qui commence à toucher toutes les catégories de personnel fait que des liens se tissent entre les sous-traitants et les donneurs d'ordre. Dans le passé, c'était deux mondes différents, aujourd’hui, les choses changent et la conscience de classe émerge chez les travailleurs qui se sentent unis au-delà du clivage entre sous-traitant et donneur d'ordre. En partie aussi grâce à nos efforts.  

Notre revue

 
 

 Révolution 50 1 page 001

Facebook